Peut on virer Zuckerberg


Business / vendredi, mai 24th, 2019

De quasi-candidat à la présidence américaine à homme le plus contesté de la planète. La courbe de popularité de Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, en a pris un sacré coup, dans le sillage du scandale Cambridge Analytica et sa fuite de données géante. A 34 ans à peine, le multimilliardaire et dirigeant du réseau social le plus puissant du monde va jouer gros, ce mardi, lors de son audition devant les élus du Congrès américain. Car depuis plusieurs semaines, la pression s’accentue sur son rôle et sur sa réaction, au point que certains s’interrogent sur sa légitimité. Malgré quelques interviews où le big boss de Facebook a tenté de faire amende honorable et où il a promis des améliorations, la presse américaine ne le lâche pas. Après avoir fait la couverture de son édition de mars avec un Zuckerberg apparaissant le visage tuméfié, le magasine Wired milite pour son départ dans un article au vitriol: « La démission de Zuckerberg ouvrirait un nouveau chapitre qui permettrait d’améliorer sa réputation, pas seulement pour lui mais aussi pour toute l’entreprise Facebook. Plus important, ces changements bénéficieraient clairement à la planète tout entière ». No Mark Zuckerbergs were hurt in the creating of this photo-illustration. Here’s how our March cover was put together: https://t.co/QpxMJHjBeh pic.twitter.com/hGJJagvhV3 Peut-on imaginer Facebook se passer des services de Mark Zuckerberg? Techniquement, c’est difficile, à l’inverse de ce qui est arrivé à Travis Kalanick, le fondateur débarqué d’Uber. « La structure de propriété de Facebook, en particulier avec les actions de classe B (qui valent dix voix contre une seule pour une action normale, NDLR) distribuées aux fondateurs, fait qu’aujourd’hui Mark Zuckerberg ne peut pas être chassé de Facebook. Il possède une majorité colossale de ces actions de classe B, et donc il est inexpugnable. Il ne pourrait partir que de lui-même, ce qui qui rend la chose improbable », indique Corentin Sellin, professeur d’histoire spécialiste des Etats-Unis. Selon le Washington Post, certains actionnaires tentent tout de même de profiter de la tourmente pour imposer à Mark Zuckerberg de séparer les fonctions de président et de directeur général, lui qui occupe les deux à ce jour. « Hara-kiri pour repartir sur de nouvelles bases » Une issue qui semble improbable, même si l’histoire du capitalisme est pleine de ces patrons sacrifiés en pleine tourmente. « C’est la théorie du bouc-émissaire », explique Hamid Bouchikhi, professeur de management et d’entrepreneuriat à l’Essec. « Il y a un moment dans la vie d’un groupe, quand il y a un blocage, où, pour remettre les compteurs à zéro, il faut faire un sacrifice. Au Japon, c’est une tradition: quand une entreprise va très mal ou que des actes graves sont commis, le dirigeant démissionne pour endosser la responsabilité. Symboliquement, il se fait hara-kiri pour que le groupe puisse repartir sur de nouvelles bases ». Mais ce n’est pas franchement la tendance du moment. « Zuckerberg, comme tous les dirigeants, va espérer s’en sortir en faisant son mea-culpa. Si ça ne suffit pas, quand il verra que la valeur de sa participation fond comme neige au soleil, il sera frappé au portefeuille. Et peut-être qu’à ce moment-là il fera autre chose », estime Hamid Bouchikhi. Selon lui, le problème n’est d’ailleurs pas forcément lié uniquement à la personnalité du patron de Facebook: « Dans son expression publique, il a plutôt le ton juste. Il encaisse. Il n’est pas dans le déni. Mais Facebook, c’est une entreprise dépassée par son succès. C’est comme si vous étiez au volant d’un bolide et que ça allait trop vite pour vous », reprend Hamid Bouchikhi. « Il a pensé à la présidence des Etats-Unis » Au-delà du cas de son créateur, il faut selon lui étudier « la manière dont l’humanité va réguler le comportement de Facebook », le cas de la firme de Menlo Park servant de « laboratoire ». « C’est une entreprise qui vit de la vente de données, et quel que soit le dirigeant que vous avez à la tête de Facebook, la source du problème restera la même », prévient Hamid Bouchikhi. « De plus, Facebook devient un enjeu planétaire pour la démocratie, alors que son conseil d’administration est fait d’actionnaires ». La démocratie, Mark Zuckerberg semble s’y être intéressé de très près. Depuis plusieurs mois, il avait entamé un voyage qui devait l’emmener dans chaque Etat américain. Une sorte de pré-campagne officieuse pour l’élection présidentielle américaine de 2020. « Il avait aussi embauché deux des grands concepteurs de la campagne de Barack Obama en 2008. Ce n’est pas pour jouer au jocari », s’amuse Corentin Sellin. « Mais c’est fini. Il est cuit, caramélisé: il a pensé à la présidence des Etats-Unis alors même que sa société a gravement nui à l’exercice usuel de la démocratie ».